samedi 22 novembre 2014

Il n'est pire sourd...

Monsieur Poumon a 57 ans. Il y a un an sa femme l'a amené en consultation parce qu'il "débloquait". Il était confus, a essayé d'attraper ma langue quand je lui ai demandé de me tirer la langue ; je l'ai envoyé aux urgences.
En fait il était en hyponatrémie* sévère, et il n'a pas fallu longtemps à partir de là pour lui trouver un cancer pulmonaire. Un bien méchant, et dont on ne peut même pas blâmer le tabac. Juste pas de chance. Et un pronostic effroyable, de l'ordre de 2% de survie à 5 ans.
Il a bien répondu à la première chimiothérapie, puis à la deuxième, puis à la troisième... À chaque fois les lésions régressaient, puis reprenaient quelques semaines plus tard, s'étendant dorénavant au foie ; à chaque fois le premier signe d'alerte était l'hyponatrémie.
Je l'ai revu hier, entretemps il voyait mon #VieilAssocié qui est son médecin traitant officiel. De nouveau un peu confus, ailleurs. 
Et son épouse, très en colère. Lors de la dernière consultation le pneumologue leur a dit que tout était bien, et là ça recommence, c'est pas possible, elle veut un autre avis, à Villejuif s'il le faut, et puis ça fait 25 ans qu'il a pas touché une cigarette...
Je ne peux pas croire, le connaissant, que le pneumologue ne leur ait pas donné plus d'explications quant au pronostic et l'évolution de ce type de cancer ; mais elle continue à croire qu'il pourrait guérir si on se donnait la peine de chercher un autre traitement, même expérimental. 

Monsieur Prostate a 70 ans. Il a un cancer de la prostate multi métastatique, actuellement en échec thérapeutique. Il est dorénavant en soins palliatifs à domicile. 
Ce midi sa femme m'a appelée : sur la prise de sang demandée par l'oncologue, le taux de PSA** a encore augmenté, elle voudrait que je passe pour donner un médicament pour le faire baisser...

La force du déni de ces deux femmes m'impressionne, et m'attriste. Est-ce un moyen de survivre, de faire face? 
Ou est-ce lié à notre façon, nous soignants, de communiquer? Qu'est-ce qui est réellement entendu de nos mots, même quand nous estimons avoir été limpides?
Comment dire l'indicible, comment entendre l'insoutenable?

Les réponses me manquent. Et ça donne des situations extrêmement délicates à gérer.




Pour mes lecteurs non médecins ;-) 
* : manque de sodium dans le sang
** : antigène spécifique de prostate, marqueur du cancer (très très imparfait pour le dépistage, soit dit en passant)

4 commentaires:

  1. Et en même temps, comment comprendre que l'oncologue propose un traitement dans des cas comme celui de Monsieur Poumon ?
    Dans l'esprit du patient lambda, qui dit traitement, dit guérison (au moins potentielle)...
    Quel est le sens d'un traitement avec lequel on aura 6 mois de vie de plus (avec quelle qualité de vie ?), par rapport à une absence de traitement ? Et les aidants & patients prendraient peut-être plus / mieux conscience de la situation.
    Mais je suppose qu'il est difficile pour les oncologues de ne pas proposer de traitement, même dans ces cas difficiles...

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    1. Dans ce cas particulier, il tolère étonnamment bien les chimios, et y répond bien aussi - il a même repris son travail!
      Mais en effet ça contribue probablement à entretenir l'idée d'une possible guérison, alors même que les reprises évolutives sont de plus en plus rapides :-\

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  2. sans traitement il se sentirait probablement totalement abandonné

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  3. Merci Souristine pour votre réponse !
    Unknown, ne pas proposer de traitement chimio ne signifie pas nécessairement abandon ; on peut proposer un traitement palliatif + un suivi psychologique...
    Mais effectivement, je conçois que ça ne soit pas systématiquement une "solution" qui convienne à tous les patients, aidants, et soignants, finalement.

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